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Enjeux éthiques autour de la production et la gestion de données en sciences sociales Conférences d'ouverture de la journée de réflexion sur l'éthique en sciences sociales 2019

mardi 26 fév 2019

Les enjeux éthiques du « tournant numérique » des sciences sociales. Critiquer et s’approprier les outils pour la production et la gestion des données
Thibaut Rioufreyt | docteur en science politique, chercheur associé au laboratoire Triangle (Lyon)

Résumé

La révolution numérique impacte désormais les sciences sociales sous de multiples aspects. Elle ouvre à l’investigation de nouveaux terrains (réseaux socio-numériques, forums et groupes de discussion web, Fab-Lab...) et objets d’étude (makers, cyberhacktivistes, participation politique online, etc.). Elle offre dans le même temps l’accès à de nouveaux types de « données » (corpus web) dans des volumes inédits (Big Data). Elle a également des effets sur les sciences sociales à travers l’émergence de nouveaux outils et/ou méthodes d’analyse (data mining, analyse de réseaux, cartographie, modélisation de systèmes complexes, simulation, etc.). Certains auteurs diagnostiquent ou appellent de leurs voeux l’émergence de sciences sociales numériques. Toutefois, la littérature sur le sujet tend souvent à minimiser, voire ignorer, un autre aspect du tournant numérique des sciences sociales, beaucoup plus basique et terre-à-terre et pourtant fondamental. Un aspect qui concerne l’ensemble des chercheur.e.s, qu’ils travaillent ou non sur les corpus web ou les Big Data, qu’ils se revendiquent ou non des Digital Social Sciences ou des Humanités numériques, qu’ils soient qualitativistes ou quantitativistes. Il s’agit des outils de base que chacun.e de nous utilise pour la production et la gestion des données : dictaphones numériques ou smartphones utilisés pour enregistrer des entretiens ou des séances d’observation, logiciels de bureautique, bases de données, espaces de stockage en ligne comme Dropbox ou Google Drive où l’on met ses données, messageries comme Gmail ou Outlook par lesquelles on envoie des messages à nos enquêtés, aux membres de l’équipe de recherche, repositories où l’on dépose nos enquêtes en vue de leur partage et/ou de leur archivage, etc. Or, l’utilisation de ces outils – conçus pour l’essentiel par des entreprises privées, dont les GAFAM – soulève toute une série de questions concernant à la fois la protection des données personnelles, la pérennité des données de la recherche, le partage des productions scientifiques et l’autonomie de la science. Cette communication se propose plus particulièrement d’analyser les enjeux et défis éthiques (et politiques) soulevés par l’utilisation de ces outils à chaque étape de la vie des documents d’enquête, depuis leur production jusqu’à leur partage en passant par leur traitement numérique et l’élaboration du plan de gestion des données.

L’éthique à l’ère de l’open research data : entre injonctions normatives et pratiques réflexives
Pablo Diaz | chargé de recherche, Fondation suisse pour la recherche en sciences sociales (FORS), Université de Lausanne

Résumé

On constate, depuis une vingtaine d’années, une importante mutation des cadres normatifs qui sous-tendent la recherche en sciences sociales. Parmi les changements les plus saillants figure l’incitation croissante à l’archivage et au partage des données de recherche. Les années 1990 ont, en effet, vu émerger un important mouvement international promouvant l’extension des principes de l’open access, jusque-là réservés aux publications scientifiques, aux matériaux empiriques qui les sous-tendent. Acquises à ces principes, de nombreuses agences de financement de la recherche font aujourd’hui de l’engagement à l’ouverture des données une condition sine qua non à l’obtention desubsides. En Suisse, le Fonds national de la recherche scientifique (FNS) exige que « les données sur lesquelles se basent les publications soient (…) rendues accessibles au plus tard au moment de la publication scientifique correspondante. (…) Dans le cas où ces exigences ne peuvent pas être remplies, les chercheurs sont prié-e-s d’en donner les raisons ». En parallèle à ce mouvement d’ouverture, on constate un durcissement conséquent des cadres juridiques en matière de protection des données. Au niveau européen, la mise en place du Règlement général sur la protection des données a largement renforcé le droit des individus concernant la collecte et le traitement de leurs données personnelles. Cette présentation a pour but de revenir sur les tensions et difficultés issues de ce double mouvement a priori contradictoire, sous l’angle de de l’éthique de la recherche. Après avoir donné un aperçu des cadres normatifs en vigueur, elle se penchera sur trois principes fondamentaux – consentement, respect de la vie privée et bienfaisance – dans le but d’en questionner les applications concrètes. Sera notamment souligné l’aspect profondément pratique et situé de l’éthique, ne pouvant se réduire à une application « aveugle » de règles bureaucratiques.