- 23/09/2020Les nouveaux enjeux d’une justice de l’intime [2:05:49]706VN3-2760-2020-2021-F-10-06On a vu se développer ces dernières années la revendication bruyante et légitime de mettre fin à certaines violences sexuelles dont étaient victimes les femmes, qui étaient soit impunies, soit insuffisamment ou maladroitement réprimées. L’institution judiciaire est, en effet, jugée patriarcale, verticale et inadaptée. D’où la nécessité de réfléchir aux enjeux d’une justice de l’intime. Cette réflexion doit partir du type de violence très particulier qu’inflige à la victime une violence de nature sexuelle ; elle doit ensuite écouter et analyser le reproche d’injustice épistémique adressé à l’institution, afin de penser à la fois les modalités concrètes et les remaniements théoriques susceptible d’honorer l’impératif de justice dans un domaine très particulier – l’intime – qu’il se gardait bien d’investir précédemment. Antoine Garapon est magistrat ; après avoir été juge des enfants pendant plusieurs années, il dirige actuellement l’Institut des Hautes Études sur la Justice qui réfléchit sur les défis de la justice du XXIe siècle. Il a soutenu une thèse de sociologie du droit, sous la direction du Doyen Jean Carbonnier, publiée sous le titre : L’Âne portant des reliques, essai sur le rituel judiciaire, (Le centurion, 1985, Odile Jacob, 1996). Il est l’auteur de nombreux ouvrages...
- 24/09/2020Femmes et espace public : intrusion ou conquête ? Algérie 2020 [1:37:53]280VN3-2760-2020-2021-F-10-06-ALa présence, la conquête de l’espace public tel que défini par Habermas en 1961 est, partout, un des enjeux centraux des mouvements sociaux actuels. Les nombreux débats auxquels on assiste à ce propos sont centrées en particuliers sur les formes d’accès et de fonctionnement de cet espace. Ils ont mobilisé la sociologie politique et la philosophie autour de la notion « public », l’histoire urbaine avec la question de l’émergence des places publiques et des différentes formes d’agora, et aussi l’histoire des médias. À présent le débat s’enrichit de la place nouvelle acquise par les médias sociaux. La question de l’égalité entre les sexes, de même que celle des classes sociales ou des générations, a permis d’en approfondir les fondements théoriques. Mon intervention se propose de contribuer au débat à partir du constat de la faible attention accordée à des contextes non européens. Pour en débattre, et pour ce qui est des pays musulmans, nous faisons le choix de parler de l’espace public au féminin afin de montrer combien les structures sociales absorbent le religieux. Ce faisant l’analyse de ce concept éclaire d’un autre jour le fonctionnement de ces sociétés, leur devenir et le statut du concept. Fatma Oussedik est militante féministe et professeure de sociologie et...
- 25/09/2020Hommes/Femmes : un destin partagé [1:49:15]298VN3-2760-2020-2021-F-10-06-BLe XXe siècle a connu la plus grande révolution non violente de tous les temps, celle des femmes. En France, le système juridique a été progressivement transformé de manière à garantir l’égalité. Mais on sait que de la loi à la réalité, il faut le temps de la transformation des mentalités et des mœurs : ce à quoi s’attelle le temps présent. La question contemporaine est donc : quelles sont les meilleures manières et méthodes pour assoir définitivement cette nouvelle transformation ? Certainement pas la guerre des sexes. Encore moins la promotion d’une chimérique identité féminine qui ferait des femmes des êtres tout autres que les hommes. Dans la plupart des situations de la vie ordinaire, nous vivons sous le régime de la « suspension du genre » : nous sommes juste des êtres humains en train d’agir. Agir plutôt qu’être, n’est-ce pas le plus sûr moyen d’accéder à l’égalité réelle ? Le combat féministe ne sera pas achevé tant qu’il restera des situations dans lesquelles la liberté de faire ne sera pas entière et évidente. Nous avons encore du travail devant nous, puisqu’il s’agit de nous inventer. Nous n’y parviendrons pas en nous représentant sous les traits d’éternelles victimes, soumises aux violences et aux discriminations imposées par une société qui serait composée de «...
Aujourd’hui, comme dans un jeu de cartes où le roi de chaque couleur l’emporte toujours sur la reine de chaque coloration, se noue le dessein complexe de redistribuer celles des femmes et celles des hommes. Rebattre sur table les cartes des rôles sociaux afin de mitiger les dominations concrètes et symboliques entre les sexes. Mais aussi pour infléchir les tutelles matérielles ou morales visibles. Ainsi que les invisibles, tout aussi puissantes, à l’instar des préjugés moraux, des interdits religieux, des normes juridiques et de l’habitus social. Dorénavant, l’assassinat des femmes est requalifié de « féminicide ». En résulte la motivation morale du reflux controversé de la prescription pénale, dans la même logique de rétribution du viol ou encore du massacre des enfants par les adultes dévoyés qui reproduisent l’amalgame entre désir et puissance du mal.
Volontarisme juridique, éducation et contrat social : cela suffit-il pour contenir les normes discriminatoires fondées durablement sur le sexe dans l’héritage bourgeois des sociétés traditionnelles d’avant l’État libéral et démocratique qui peine à s’en dissocier ? Semblable à l’éradication planétaire de la pauvreté ou à la généralisation du revenu universel, émerge peut-être une autre « utopie réaliste », celle de l’égalité genrée (Rutger Bregman, Utopies réalistes, Seuil, 2017).
Au temps des « nouvelles radicalités féministes » (#MeToo, #NiUnaMenos, #TimesU, #UnVioladorEnTuCamino) la contestation constitutive et émotionnelle du patriarcat culmine, tout autour de la planète, dans les manifestations spectaculaires et parfois d’inversion carnavalesque pour les droits des femmes ou contre l’impunité de la prédation sexuelle des mâles comme dispositif suprématiste. Si ce contexte évoque les « révoltes logiques » des années 1970, la session des RIG de septembre 2020 sondera et évoquera le bouleversement des rapports ordinaires entre les deux sexes, singulièrement complexes dans le cadre confessionnel des sociétés non sécularisées.
Maillon fort de la démocratie universitaire, les sciences humaines permettent de donner du sens aux faits. Le mieux possible selon les questions du temps présent, la déontologie herméneutique et l’esprit critique que réverbèrent les Rencontres internationales de Genève. De plus, les sciences humaines fournissent l’outillage conceptuel pour décoder l’univers mental des représentations sociales conservatrices ou inauguratrices. L’histoire, la sociologie, le droit ainsi que la littérature questionnent les liaisons anthropologiques et politiques des deux sexes entre domination, égalité et énoncé du désir.
Femmes et hommes – nouveaux rapports ? : autour de la dialectique genrée, la conversation publique que mèneront Belinda Cannone, Antoine Garapon, Eva Illouz et Fatma Oussedik entrouvre une fenêtre sur le monde sensible de demain. Outre l’évolution statistique de la parité institutionnelle ou salariale, de quelle manière doit-on envisager la perfectible mutation socio-culturelle des normes, des pratiques, des représentations et des seuils de tolérance entre les humains des deux sexes sans gommer l’empire du droit ni la différence ontologique et parfois orageuse qui les unit ? Trop oubliée, l’écrivaine suédoise Karin Boye (1900-1941) pointe l’énergie tyrannique du naturalisme égalitaire dans le chef d’œuvre dystopique La Kallocaïne, autopsie lucide du totalitarisme panoptical et hallucinatoire de l’« État mondial » (1941, Éditions Ombres, 2014).
En 2020, fidèle au libéralisme juridique des Lumières, la grande question politique de la démocratie reste peut-être celle du nécessaire mais fortuit changement des rapports humains et des liens sociaux entre les femmes et les hommes. Dont ceux funestes du machisme ordinaire et de la « domination masculine » (Pierre Bourdieu) que les poignantes Thelma et Louise tentent de contrer au prix de la vie dans le road-movie féminin/féministe Thelma & Louise (1991) de Ridley Scott projeté durant la session de cette année avec Jusqu’à la garde de Xavier Legrand (2017) sur le dilemme insoluble de la garde partagée ou exclusive des enfants de couples déchirés.
Or, sur l’horizon d’attente de l’existence, reste vivace l’irréductible désir demeuré désir. Dans la liesse séductrice de loyaux ennemis ou alliés entrelacés se noue et se dénoue le pacte amoureux toujours recommencé : « C’était au début d’adorables années. La terre nous aimait un peu je me souviens » (René Char, « Évadé », Seuls demeurent, 1938-1944). La reine de cœur doit- elle une fois l’emporter sur le roi de cœur ?
Michel Porret.
Président des Rencontres internationales de Genève.